L’orgue médiophone Dumont & Lelièvre de Haut-Ittre a l’apparence d’un orgue mais est en réalité un harmonium dont les sons sont produits par des « anches libres ». Les tuyaux de la partie supérieure sont factices. On les appelle d’ailleurs des « chanoines », car ils ne « parlent » pas!
« Le médiophone de Haut-Ittre est probablement unique », dit Joris Verdin, un organiste et claviériste spécialiste des harmoniums. Il est exceptionnel car il est équipé de deux claviers plus un clavier de pédales. Il dispose aussi de 19 registres ou « jeux » qui offrent une grande variété de sonorités.
La particularité des médiophones est qu’ils ont aussi un registre supplémentaire appelé « expression » qui influençe tout le système de production du son et permet un large éventail de nuances. Ce registre « expression » était en vogue au XIXème siècle, quand les harmoniums étaient utilisés pour des concerts, mais pour les instruments installés dans des églises, comme celui d’Haut-Ittre, dit Joris Verdin, « le système d’expression, était bloqué à l’intérieur. On était donc obligé de jouer “sans expression”, c’est-à-dire de jouer avec un vent stable sans nuances. Ceci correspondait aux directives de l’église catholique au début du XXème siècle. Mais sans doute, ceci n’est qu’un hasard de l’histoire et [lors d’une restauration] on pourra facilement remettre le système en fonctionnement. »
Grâce à son répertoire ancien et très riche d’œuvres pour des concerts, l’harmonium refait son entrée dans les orchestres et pour accompagner des solistes, des chœurs, et il est à nouveau enseigné.
L’instrument de l’église Saint-Laurent, acquis en 1903, est un modèle dont les détails du buffet combinent les modèles I des catalogues 1909 et 1912.
Grand modèle vertical I style gothique du catalogue 1909, et le Modèle I du catalogue 1912 - le clavier de pédales et le deuxième clavier sont une option :

L’ Orgue Médiophone est un instrument du type “harmonium” à deux claviers et pédale. Ceci signifie que le son est produit par des “anches libres” qui se trouvent toutes à l’intérieur de la partie inférieure du meuble. La partie supérieure avec les tuyaux ne sert que de “décoration”, les tuyaux d’orgue sont factices (des “chanoines”) et ne “parlent” pas. Cette partie supérieure contient également deux caisses de résonance pour certains “jeux” (sonorités).

Les claviers ont l’étendue normale d’un harmonium, c’est-à-dire 5 octaves en partant du do1. Les 19 registres sont repartis sur deux claviers.

Les claviers sont munis d’un système de “transposition”. Ceci signifie qu’on peut positionner les touches plus vers la gauche ou vers la droite, selon qu’on souhaite que les touches jouées sonnent plus bas ou plus haut que normalement. Ceci est indiqué par le ruban en papier au dessus de l’octave centrale.

Il y a douze touches supplémentaires, du do dièse au mi dans les dessus, du si au fa dans les basses. Ceci donne donc la possibilité de jouer dans chacune des douze tonalités possibles.
Ce système était généralement appliqué sur les instruments conçus non seulement pour le répertoire, mais également pour l’accompagnement du chant. Ce système ne fonctionne que sur les claviers manuels.
Le pédalier / clavier de pédale est momentanément en position verticale. Ceci est nécessaire pour pouvoir utiliser les pédales de la soufflerie de l’harmonium. Cette possibilité de relever le pédalier est un système ingénieux et exclusif de la maison Dumont-Lelièvre. Quand le pédalier est en position horizontale, les touches communiquent directement avec la mécanique. il n’y a pas de registres pour le clavier de pédales.

L’instrument est abandonné depuis de nombreuses années. Néanmoins, certaines personnes l’ont encore entendu joué par l’organiste de l’église. Les quelques tirants de registre qui fonctionnent encore confirment que l’harmonium a un grand potentiel sur le plan sonore. L’acoustique de l’église est favorable et la taille de l’Orgue Médiophone est parfaitement adaptée à cet espace.
Malgré l’apparence, les touches des claviers sont en bon état. Les ivoires disparus peuvent être remplacés, ainsi que les parties verticales des touches blanches du premier clavier. Les touches noires ne nécessitent qu’un nettoyage.
Les tirants de registre sont très abîmés, disparus ou illisibles. Un grand nombre n’est pas d’origine, certaines pastilles ont été remplacées par des porcelaines qui ne correspondent pas au jeu concerné, etc. Tous les tirants devront être remplacés par des copies conformes à l’authentique.

Le registre “Expression” est enlevé. Ce registre se trouve toujours au milieu de la série de tirants. Il affecte tout le système de la production de son, en donnant de « l’expression », c’est-à-dire en permettant de faire des nuances. Au début du XIXe siècle, l’Orgue Médiophone était connu sous le nom d’ « orgue expressif ». Il s’avère que le système d’expression est bloqué à l’intérieur. On est donc obligé de jouer “sans expression”, c’est-à-dire de jouer avec un vent stable sans nuances. Ceci correspond aux directives de l’église catholique au début du XXème siècle. Mais sans doute, ceci n’est qu’un hasard de l’histoire et on pourra facilement remettre le système en fonctionnement.
On n’a pas démonté la soufflerie comme on n’a pas remarqué de grands problèmes à ce niveau. De toute façon, lors d’une restauration, il faut rénover les soufflets, même s’ils en bon état à l’heure actuelle. En effet, quand on rejoue un instrument après une longue période d’arrêt, des problèmes d’étanchéité des soufflets en cuir sont à attendre.
Les noms des jeux se trouvent à l’intérieur du sommier.

Voici la liste des jeux dans le sommier:
| Basses: | Dessus: |
|---|---|
| Clairon Baryton Contrebasse | Fifre Voix Céleste Flûte Suisse Hautbois |
| Mécanique des registres | Mécanique des registres |
| Bourdon Violoncelle Cor Anglais | Clarinette ??? Voix Céleste Flûte |
Les jeux qui sont indiqués au-dessus de la « mécanique » disposent d’une caisse de résonance. Le but est d’arrondir la sonorité assez nasale et pénétrante de ces jeux, de les faire ressembler plus au son de l’orgue à tuyaux. Cette caisse est en bon état, sauf une petite fissure au niveau du joint arrière gauche.

La mécanique de tirage des jeux derrière la barre des registres est à revoir, elle est très déréglée. Quelques pièces sont à reconstituer.

Une particularité des Orgues Médiophones consiste en deux registres placés d’une part et d’autre du registre d’expression, appelés « Echo Céleste » et « Concert angélique » (Voir la photo ci-dessous de l’instrument à 1 clavier de Ferrières-en Gâtinais, près de Montargis). Ce sont deux registres qui tirent une combinaison de jeux fixée par le facteur – comme un preset. On pourra restituer ces registres lors de la restauration, quand on verra quels jeux sont combinés.

L’intérieur du sommier est en bon état. Pas de fissures.


L’ensemble des anches est propre, aucune anche ne manque, il n’y a pas d’oxydation. Les traces d’accord semblent être correctes, peut-être même d’origine.

Le grand avantage de l’instrument de Haut-Ittre est justement que toutes les anches sont préservées et qu’il ne faut pas refaire des anches à l’authentique. Il y a un siècle les anches étaient produites en série. Ces machines n’existent plus, donc si une anche manque il faut la refaire manuellement, ce qui représente au moins une heure de travail.
Le diapason moyen est de 436, sans doute 435 à la livraison, c’est-à-dire “diapason normal” de l’époque. Les anches d’un harmonium ont tendance à monter avec le temps.
Les touches et les soupapes sont d’origine. Il y a deux soupapes des jeux arrières qui ont tendance à « corner », cela a été résolu par un ressort supplémentaire. Les touches concernées sont à rectifier. Pour le reste un nettoyage des touches semble être suffisant.

La mécanique est assez bruyante. Ceci est dû au jeu de la petite tige en bois en-dessous des touches. Il faudra stabiliser ces tiges. Il y a plusieurs solutions, dont la plus simple est de placer un ruban en feutre tout au long de la barre en bois qui tient ces tiges en place. La plus compliquée, en même temps la plus durable, consiste à mettre du cachemire dans chaque ouverture.

L’accouplement, coupé en basses et dessus, fonctionne. Il devra être réajusté après la après les travaux de stabilisation.
Sur la même photo ci-dessus, on voit les feutres rouges usés, dont quelques uns ont été remplacé par du feutre blanc. Tous ces feutres sont à rénover.
Les soupapes elles-mêmes sont en bon état. Parfois il y a une trace de mites, mais à première vue pas grave et à enlever facilement. Nous avons fait quelques sondages qui confirment cet état général. Les soupapes sont marquées par des traces noires, éventuellement à nettoyer. Mais ces taches noires n’affectent pas l’étanchéité.

Dans le panneau sous les claviers il y subsiste des trous de vis de trois genouillères enlevées.

Il s’agit d’une genouillère centrale pour le « Grand Jeu », qui tire tous les jeux de fonds en une fois et de deux genouillères pour les « fortes » pour les basses et les dessus.
Ceux-ci sont fixables dans deux positions d’ouverture, comme on peut voir sur la photo suivante. Sans doute ces registres ont été enlevés pour ne pas gêner le jeu des pédales. Á reconstituer.

En bas du même panneau, on remarque la « cuillère » pour la « boîte expressive » des jeux de pédale.

Le mécanisme a été enlevé, mais c’est bien prévu comme on peut voir sur la photo suivante. À reconstituer.

Dans le Catalogue de la manufacture d’orgues Dumont & Cie, successeurs, Les Andelys, imprimerie G. Coulouma, 41 Place Nicolas-Poussin – 1909, on retrouve: « Nous appliquons également sur demande un clavier de pédales composé de 24 notes de do à si. Quand on le désire, nous pouvons les établir à 27 notes de do à ré. Nos jeux de pédalier sont indépendants des jeux de l’instrument, ils parlent ensemble dans une boite sonore genre médiophone. Cette boite est munie d’un couvercle mobile qui est actionné par une pédale genre grand orgue pour pianos et fortes». (citation reprise de l’article de Pascal Auffret.)
La présence de ce clavier de pédales est donc une option. Ceci ne fait que confirmer l’exclusivité de l’instrument de Haut-Ittre.
L’étendue du pédalier est de deux octaves, du Do grave au Si2. Cette étendue de 24 marches est assez particulière, mais confirme le rôle principal de cet instrument: le culte. Il y a un double jeu de 16 pieds dans une seule chambre, de là, la nécessité d’une « boîte expressive » pour adapter l’intensité du pédalier aux registrations choisies sur les claviers manuels.

Les jeux de pédales sont situés à l’arrière de l’instrument, derrière les jeux manuels. Ils sont surmontés d’une caisse de résonance (« »genre médiophone ») avec « boîte expressive ». Dans la pratique « l’expression » se limite à deux positions, ouvert ou fermé, cfr. supra.
Les soupapes sont en bon état.

Les joints entre la soufflerie et la laye sont en mauvais état, ce sont des réparations maladroites. À remplacer entièrement.

Le pédalier même est mis hors d'usage, à fin de pouvoir actionner les pédales de la soufflerie et de ne pas devoir dépendre d’une deuxième personne. Pour le jeu avec pédales, l’instrument dispose d’un deuxième système de soufflerie, actuellement hors d'usage. C’est ce système qui permet à une deuxième personne d’actionner les soufflets. Les conséquences pour le jeu de l’orgue sont importantes. On libère les pieds de l’organiste pour jouer le clavier de pédales, et donc, d’aborder le répertoire d’orgue proprement dit, dans les limites de l’étendue de deux octaves. Cette limitation ne donne pas de grands problèmes dans le répertoire de musique religieuse autour de 1900. Une deuxième conséquence est purement musicale : le vent devient stable et plus semblable au vent d’orgue à tuyaux. L’organiste n’a pas la possibilité de faire des nuances forte – piano à l’aide des pédales. Mais cela correspond tout à fait avec les tendances dans la musique d’église autour du Motu Proprio, où toute allusion à la musique profane était exclue.
Cette mécanique est située à l’arrière gauche. La position actuelle de l’instrument ne permet pas d’actionner cette soufflerie à main, dont la grande manivelle nécessaire à cette fin a disparue. Par le manque de place, il est actuellement impossible de faire fonctionner ce système.
Comme visiblement certaines touches du pédalier ont été jouées, il est exclu que l’orgue se trouvait à l’endroit actuel sur la tribune. Grâce à l’esprit attentif de Simon Daron, on a pu observer que des traces sur le sol indiquent clairement que l’instrument a été repoussé vers l’arrière du jubé. On peut donc conclure que le pédalier a été en usage au moins pendant un temps nécessaire pour laisser des traces de légère usure sur les touches les plus utilisées.
L’Orgue Médiophone Dumont-Lelièvre de Haut-Ittre est un instrument de grande valeur. Déjà à l’époque de son acquisition il était d’une rareté exceptionnelle par le nombre des registres, la présence de deux claviers plus un clavier de pédales. Sauf erreur de ma part, un instrument de telle envergure n’est pas répertorié dans la documentation actuelle.
Malgré l’apparence, l’état général de la partie sonore est excellent. Il est normal qu’une rénovation ou restauration s’impose après plus d’un siècle. L’instrument est totalement en harmonie avec l’espace de l'église et il servira parfaitement dans le culte.
Par sa composition exceptionnelle cet Orgue Médiophone Dumont-Lelièvre trouvera une place parmi le patrimoine culturel avec des perspectives magnifiques pour des concerts à la mesure de l’église de Saint-Laurent.
Options :
Les travaux de restauration ne sont pas possibles sur place. Ils se feront en atelier. On devra démonter en partie l’orgue et le descendre de la tribune. Il est normal que lors du démontage complet en atelier on retrouve des petits problèmes à résoudre. Ceci fait partie d’un processus de dialogue entre toutes les parties concernées.
Il faudra discuter de l’emplacement après restauration. La position actuelle ne fait pas ressortir bien les qualités de la sonorité de cet instrument, comme le son est plus dirigé vers le mur opposé de la tribune que vers la nef. Esthétiquement, on ne voit qu’à peine la façade et l’allure néogothique extraordinaire. Un emplacement dans l’église même n’aura que des avantages acoustiques, esthétiques et pratiques.
Joris Verdin, le 1 mars 2019